« Elle se leva la nuit, et allumant de la chandelle, print
une bouëtte et s’oignit, puis avec quelques paroles
elle fut transportée au Sabbat. »
Jean Bodin. – De la démonomanie des sorciers.
Il est au cœur de Seix une étroite ruelle, bizarrement nommée Passage des Trois sorcières.
C’est que l’histoire de Seix est ici liée à celle d’un procès retentissant, celui qui se déroula dans la seconde moitié du 16e siècle, en 1562, suite à l’arrestation de trois femmes du village qui y furent accusées de sorcellerie…
Comment et pourquoi cela est-il arrivé ? Quelle portée peut-on donner à ces procès ?
Pour mieux comprendre cette histoire là, il nous faut remonter le temps, nous replonger dans des croyances qui furent celles d’une époque plus que troublée…
Du paganisme au christianisme
Dès les temps les plus reculés, les hommes croient aux forces obscures, bénéfiques ou maléfiques. Mais si dans l’Antiquité la magicienne était honorée, au Moyen-âge, époque agitée et troublée, l’église va elle très vite condamner et pourchasser les sorcières. C’est avec elle que débute la « chasse aux sorcières » qui connaîtra son apogée pendant la Renaissance, au 16e siècle …
La transformation de la magicienne en sorcière s’est opérée au moment où le christianisme a peu à peu supplanté les rites païens.
Jusque là deux divinités étaient particulièrement adorées : l’une d’elle, la Déesse mère incarnait la Création, la cueillette, la naissance, la récolte et les mois d’été…
L’autre, le Dieu cornu aux andouillers de cerf, à la peau d’animal, aux sabots fourchus incarnait la chasse et les mois d’hiver.
Le christianisme, en devenant la religion établie, n’arrive pas à supprimer le culte de ces dieux. Il établit donc ses églises sur les lieux mêmes des cultes païens. Ainsi, le Mont Saint-Michel se trouve à l’exacte place d’un ancien temple mithraïque lui-même situé sur un sanctuaire celte, consacré au dieu Bélenos. Dans le même esprit, le christianisme transforme les fêtes païennes en fêtes chrétiennes (souvenons nous que le 25 décembre fêtait en grande pompe la naissance de Mithra, le soleil invaincu / sol invictus …
C’est seulement quand ils furent solidement implantés que les chrétiens nommèrent « Diable » le dieu cornu et que le culte de la Vierge remplaça celui de la Déesse mère !
De la tolérance aux persécutions
Dans une époque frappée par le retour des calamités – guerre de religions, famines, épidémies et autres catastrophes climatiques-, le monde rural se trouve dans un état de misère sans précédent. La mort rôde alentours, l’espérance de vie est courte et de nombreux enfants meurent avant l’âge de 10 ans…
La situation sanitaire de l’époque est déplorable, les hommes n’ont pas encore conscience que le manque d’hygiène favorise le développement des maladies et des épidémies. Comme pour toutes les rivières du territoire, le Salat comme l’Esbintz servent aussi bien de sources d’eau que d’égoût ! L‘hygiène dans les maisons est inexistant, les animaux transmettent puces et poux… Les détritus propagent les germes et contaminent l’eau. Les rats pullulent, propageant des maladies…
Souvenons-nous également que la sorcellerie populaire c’est-à-dire la croyance en la magie du monde et le contact quotidien avec le surnaturel est particulièrement ancrée dans le monde rural.
Nombreuses sont à l’époque celles que l’on appelle encore les « guérisseuses » : grâce aux plantes et aux filtres, elles peuvent être les protectrices des faibles, être encore des sorcières « bienfaisantes ». Dans l’Antiquité puis au début du Moyen-âge on a une bonne connaissance des plantes utilisées dans les tisanes, décoctions, cataplasmes…
Les moines ont d’ailleurs développé dès cette époque des « jardins des simples », premiers jardins botaniques avec herbes médicinales…Chaque abbaye possède ses propres recettes qu’elle garde secrètes pour en conserver les bénéfices commerciaux…-il en va ainsi, par exemple, pour l’eau de mélisse, pour ne citer qu’elle -.
Le moment de la cueillette est ritualisé, la croyance veut que ce soit ainsi que les plantes conservent au maximum leur pouvoir magique. La cueillette doit avoir lieu avant le lever du soleil et, le 21 juin, jour du solstice d’été, les pouvoirs des plantes sont censés être accrus !
Parmi les plantes préférées des sorcières, celle qui a la primeur est sans nul doute la mandragore que l’on sait aujourd’hui extrêmement toxique parce que possédant à la fois un pouvoir analgésique et hallucinogène – ; l’aconit tue loups ou casque de Jupiter , est censée, elle, chasser démons et loups-garous, cette fleur dit-on alors, serait née de la bave de Cerbère, le chien de garde des Enfers ; la belladone (de l’italien Bella Donna, « belle dame ») dont les fruits sont extrêmement toxiques est également une des plantes favorites des sorcières… Mais, dans les potions magiques des sorcières figurent également la chélidoine, la pulmonaire, le colchique, le lierre, le millepertuis….
Comme l’affirmera bien plus tard Claude Bernard, « Tout est poison, rien n’est poison, tout est question de dose. » Or, à cette époque, les médecins étaient rares, surtout en milieu rural, la population consulte donc guérisseurs, rebouteux et…sorcières ! Ces guérisseuses qui seront bientôt considérées comme sorcières sont consultées pour résoudre toutes sortes de problèmes : maladies mais aussi problèmes d’amour, d’argent, de rivalité amoureuse, de jalousie…
Selon Norman COHN d’un côté on suit à la trace les vieilles magies campagnardes ; elles produisent dans certains cas le bienfait (beneficium) mais aussi le maléfice (maleficium) car qui peut nuire peut guérir et il n’y a pas de magie noire sans magie blanche.
Mais tout va basculer à la fin du Moyen âge pour les sorcières !
Dès le 13e siècle la sorcière va devenir pour l’ église une sorte de bouc-émissaire : elle apportera tout simplement une explication toute faite aux tensions existant dans les villages, à la famine ou pire encore, aux épidémies comme la peste ! Car il n’est nul besoin d’aller bien loin pour trouver la sorcière, à la différence de l’Infidèle ou du Juif ! La sorcière, elle, est partout : dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque rue, là où l’on en a besoin ! Et le village de Seix ne fera pas exception à la règle !
L’historien Michelet souligne avec justesse l’ambiguïté du culte marial qui, à cette époque, exalte la Vierge et abaisse la femme réelle – souvenons-nous à ce titre que la chapelle N-D. de Pitié de Seix est entièrement dévolue au culte marial !-, la sorcière est d’abord maudite comme impure ; elle trouvait jusque là sa revanche dans les pouvoirs magiques qu’elle avait acquis, ce sont eux qui vont la mener à sa perte et tout droit au bûcher ! La sorcière va désormais être perçue comme démoniaque !
La sorcellerie diabolique est clairement une invention de l’ église au Moyen-âge. Elle invente ce modèle démonologique pour, dit-elle, traquer le Diable.
Selon LEROY-LADURIE « l’église assigne à Satan des actions que d’aucuns auparavant croyaient non démoniaques et qu’avaient pratiquées sans penser à mal les bonnes vieilles sorcières des contes de fée », ce modèle démonologique va déclencher des persécutions massives à partir du 16e siècle.
Quelles sont les accusations portées contre les sorcières ?
La sorcière diabolique ne se distingue pas des autres femmes : elle peut être vieille et laide comme elle peut être jeune, belle et même très séduisante en possédant la beauté du diable.
Les accusations portées contre les sorcières sont diverses et variées.
Jean BODIN dans son ouvrage Démonomanie des sorciers (Anvers, Coninx, Livre IV, ch.5) les synthétise, il leur est reproché quinze crimes dont neuf contre Dieu et six contre les hommes.
Contre Dieu
– Renier Dieu et toute religion
– Après avoir renié Dieu, le maudire et le blasphémer
– Faire hommage au Diable, l’adorer, lui sacrifier
– Vouer ses enfants à Satan
– Sacrifier ses enfants à Satan avant leur baptême
– Consacrer ses enfants au Diable
– Faire du prosélytisme
– Jurer par le nom du Diable
– Etre incestueux
Contre les hommes
– Etre homicide, particulièrement des enfants non baptisés
– Manger de la chair humaine
– Faire mourir les hommes par poison ou sortilèges
– Faire mourir le bétail
– Faire mourir les fruits de la terre
– Avoir copulation avec le Diable
Quelles sont censées être les pratiques des sorcières ?
La rencontre et le pacte
Les sorcières doivent d’abord rencontrer le Diable (elles « vendent leur âme au Diable »), puis deviennent ses adeptes ; une fois le pacte signé, elles se rendent au Sabbat pour y célébrer son culte. Le Diable – autrement nommé le Démon, Satan, Lucifer ou Belzébuth-, est quant à lui cet ange parfait qui fut déchu pour avoir eu l’orgueil de vouloir égaler Dieu. Depuis il habite l’Enfer où il cherche à attirer les âmes en répandant le plus de mal possible.
Barbiche, pieds fourchus, cornes sont ses attributs, représentations tout droit empruntées à celles des dieux antiques Pan, Dionysos, Cernunos, dieux liés au culte de la fertilité…
La sorcière se voue au Diable, corps et âme.
Que propose donc le diable aux gens qu’il rencontre ? En général, ce qu’ils convoitent : de l’argent, les plaisirs terrestres, la domination du monde… Ses interlocuteurs renoncent à Dieu, au baptême et à toute religion chrétienne. Satan peut faire signer un pacte mais c’est chose rare à la campagne.
Comme le chrétien va à l’église, sorciers et sorcières vont au Sabbat… Pour ce faire ils prennent la voie des airs : des ingrédients à base de sang de huppe, de chauve-souris, de plantes hallucinogènes sont parfois mêlées à la graisse de petits enfants pour constituer un onguent. L’onguent ainsi obtenu est étalé sur le corps nu de la sorcière afin de favoriser son envol.
Le pouvoir de voler est caractéristique de ceux que possède la sorcière. Il est de loin celui qui a le plus marqué l’imagination des artistes ou des conteurs !
Le vol est une métamorphose à la fois de liberté et de sexualité et le personnage de la sorcière incarne à l’évidence ces deux aspirations.
« Bâton blanc, bâton noir, mène-nous là où tu dois de par le diable ! »
Les moyens de locomotion de la sorcière peuvent être le bouc, monture d’Aphrodite et de Dionysos qui incarne pour les chrétiens l’image même des perversions et de la lubricité. Satan en personne daigne parfois transporter sur son dos celle qu’il veut honorer mais le plus connu des moyens de déplacement de la sorcière reste bien évidemment le balai : à partir du milieu du 15e siècle, le balai, modeste ustensile de ménage, fait son apparition. Les sorcières vont l’utiliser de plus en plus fréquemment car il reste discret et permet d’emprunter sans trop de risques les conduits de cheminée. Il rappelle par sa forme la baguette de coudrier utilisée dans les rituels magiques et, par son chevauchement, celui du phallus.
Il est amusant de constater que dans les gravures les plus anciennes, celles du 16e siècle, les sorcières tiennent leur balai la tête en bas. Mais à partir du 17e siècle, les sorcières paraissent avoir adopté un nouveau style, elles chevauchent avec le balai tenu en haut et fixent au milieu du fagot une chandelle allumée qui éclaire leur route.
A noter que dans les pays germaniques, la fourche à deux dents concurrence le balai.
La cheminée est la voie naturelle pour se rendre au Sabbat, une sorcière ne sort ni par la porte ni par la fenêtre ( !) mais par ce trou mystérieux qui communique avec les cieux…
Où vont-elles ainsi ?… Elles se rendent au Sabbat !
Le lieu du Sabbat est un endroit isolé, souvent sinistre : landes, clairières au cœur de la forêt, châteaux en ruines…En Bretagne, ce sera la lande de Carnac ; en Auvergne, le sommet du Puy de Dôme….partout le Sabbat apparaît comme la survivance d’un rite païen où des danses de fertilité s’accomplissaient autour de la représentation d’un dieu cornu.
La représentation que nous en donne Franciso GOYA est à cet égard saisissante.
Le Sabbat c’est donc cette grande fête de l’imaginaire diabolique qui dure jusqu’au petit matin quand les sorcières se hâtent d’enfourcher leur balai pour rentrer au plus vite… Par là même il incarne une manière de rêve de libération comme l’a si bien analysé Michelet.
L’histoire du sabbat est celle d’un mythe constitué au fur et à mesure qu’apparaissent les confessions des sorcières torturées et brûlées sur le bûcher.
Le Sabbat est consigné dans les registres de l’Inquisition vers 1330.
Son rituel emprunte à bien des rituels de religions anciennes ce qui permit aux inquisiteurs chrètiens d’arracher habilement sous la torture des aveux de participation à ces assemblées.
Le Sabbat, c’est l’envers de la messe, c’est le culte du Diable.
Quand le sabbat avait-il lieu?
Pour les petits sabbats locaux, on se réunissait généralement une fois la nuit tombée, le mercredi ou le vendredi mais six fois par an se tenaient des réunions plénières dont les dates coïncidaient, comme par hasard, avec d’anciennes fêtes païennes que l’Eglise avait « rebaptisées » !
Le baiser d’infamie
« Les ennemis cléricaux des sorcières prétendent sans faillir que cet envol surnaturel mène les sorcières jusqu’à un emplacement nocturne appelé sabbat : on y baise en cérémonie le cul du diable pour en devenir l’esclave » (Leroy-Ladurie)
La cérémonie de l’hommage au Diable consistait à donner au Diable un baiser au derrière ; « ce n’est point un derrière », disaient les sorcières, « mais un second visage qu’il a sous la queue » !
Y aurait-il là une réminiscence du culte de Janus, le dieu aux deux visages ? Ou bien assiste-t-on à la fête de l’inversion ? Dans ce monde à l’envers, le haut est mis à la place du bas, le derrière à celle du devant.
Après ce baiser d’infamie, venait le temps de la messe noire que le diable préside sous la forme d’un bouc – mais aussi parfois sous la forme d’un crapaud à plumes, d’un corbeau ou d’un chat noir-, et que clôt « l’Allez au diable » en guise de « l’ite misa est » chrétien.
Puis c’est le temps du festin – crapauds putrides, chair humaine, eau de vie… – ; le banquet est le plus souvent accompagné des trépignements de danses comme la gigue ou la sarabande : aux 16e et 17e siècles la danse était condamnée par l’église qui y voyait une origine diabolique ! Selon St Isidore de Séville, musique et danse ne pouvaient conduire en effet qu’à l’accomplissement d’actes lubriques !
L’érotisme et la sexualité jouent un rôle important dans l’histoire de la sorcellerie.
Les juges ont particulièrement insisté sur certains côtés scabreux des rapports des sorcières avec leur démon préféré. La copulation avec le diable est obligatoire et systématique, le Diable apparaît aux hommes en femme et aux femmes en homme…(succube /incube < qui se couche sous>)…
Quand le coq, témoin du reniement de St Pierre, chante à l’aurore, c’est le signal : la fête est finie , chaque sorcière réenfourche son balai au plus vite pour rentrer chez elle.
Vers 1400, l’image de la sorcière diabolique qu’a créée l’église va se confondre avec celle de la guérisseuse de premier type. L’homme médiéval, catholique, est très superstitieux : il craint Satan et ces femmes lui font peur.
Les méfaits reprochés aux sorcières : sortilèges, envoûtements, remèdes et poisons
Sortilèges et envoûtements
Le plus important des pouvoirs de la sorcière consiste à jeter des sorts.
Les sorcières se voient accuser de provoquer des orages de grêle afin de détruire les récoltes, de déchaîner les tempêtes, de susciter des ouragans, de faire tomber la foudre sur les clochers !…Elles pouvaient aussi faire tarir le lait des vaches, empêcher le blé de germer, rendre noir le pain du boulanger, faire geler le vin dans les tonneaux, mettre à mort par épizooties les bœufs et les moutons des éleveurs ou, pire encore, semer la discorde entre des gens unis ou susciter des épidémies telles la peste ou la lèpre !…
« La sorcière vue par son entourage fait figure de machine à tuer : nourrice du bébé d’autrui, son lait s’avère mortel pour l’enfant qu’elle tient au sein ; son souffle, son mauvais œil, son crachat terrifient les alentours ; les fermières se plaignent du trépas de leurs chiens de garde, tués par les quignons de pain qu’elle distribue dans les niches »…, écrit encore Leroy-Ladurie.
Mais c’est dans le domaine sexuel qu’on les accuse des pires maléfices : les sorcières sont censées empêcher les rapports conjugaux et la procréation d’enfants. La stérilité, l’impuissance, les vices de conformation leur sont attribués de facto. Elles empêchent l’acte sexuel par le nouement magique de l’aiguillette (rite de castration) ; tuent le fœtus ou le nouveau-né –dans les accusations de sabbat concoctées par les Inquisiteurs, ce crime d’infanticide dégénère en grief fantasmatique d’anthropophagie collective pratiquée de façon rituelle à l’encontre des petits enfants ! -.
Longtemps le corps de la femme est resté pour l’homme un secret, sa sexualité par sa force et sa puissance, l’effrayait.
Pour l’église du Moyen-âge qui prônait l’idéal ascétique et le célibat des prêtres, la femme représentait un obstacle. Le Malleus Maleficarum*, réquisitoire contre la sorcellerie dit : « Toute la sorcellerie vient de la concupiscence charnelle qui chez la femme est insatiable ». N’oublions pas qu’Eve est censée avoir causé le malheur de l’homme…
Ainsi, cette peur de la femme, cette crainte du démon tentateur va-t-elle conduire bon nombre de femmes tout droit au bûcher.
*En 1487 paraît le Malleus Maleficarum aussi appelé le Marteau des sorcières. Les auteurs, Jacob Sprenger et Henri Institori (Krämer) sont deux dominicains allemands. Ce livre devient, fin 15e, un véritable best-seller ! A tel point qu’il est imprimé en format de poche pour que les juges puissent le consulter facilement. Les femmes y sont insultées et on insiste sur leur dangerosité, sur leur perfidie, sur leur infériorité ! En voici un extrait dont on appréciera le sens de la nuance :
« La femme est plus cruelle que la mort car celle-ci est naturelle et ne détruit que le corps ; le péché qui suinte de tous les pores du corps de la femme détruit l’âme en la privant de la grâce et jette le corps dans les abîmes du péché…Toute la sorcellerie vient du désir charnel qui, chez elles, est insatiable … Pour se satisfaire elles n’hésitent pas à épouser des démons…On sait désormais qu’il y a beaucoup plus de femmes infectées par l’hérésie de la sorcellerie… »
Cet ouvrage contribuera au massacre de millions de victimes sur les bûchers.
Poisons et remèdes, philtres et potions
Sa connaissance des herbes médicinales fait d’elle une guérisseuse, une « magicienne » qui connaît les recettes des philtres d’amour. Mais ses pouvoirs dus à une bonne connaissance des secrets de la nature sont très vite taxés de magie noire : il est vrai que la même herbe dosée différemment peut être remède ou…poison ! Le mot grec pharmacos signifie d’ailleurs remède mais aussi poison ; venefica, empoisonneuse en latin est le terme désignant la sorcière dans la plupart des langues romanes.
Rognures d’ongles, poils, sang, cheveux de la victime tout est cependant bon à ajouter dans la potion magique !
L’église fait impitoyablement condamner le recours à ce type de remède (héritage du passé celtique) au profit d’une médecine théorique et aristotélicienne aucunement fondée sur l’observation de la Nature.
« L’église déclare au 14e siècle que si la femme ose guérir sans avoir étudié, elle est sorcière et meurt » (Michelet).
Ainsi vont s’imposer les médecins masculins formés à l’Université, reconnus par l’église, qui s’approprient les remèdes de la sorcière de sorte que seule sa réputation d’empoisonneuse se perpétue…
A la lueur des bûchers, les sorcières de Seix
Il suffit d’un soupçon, d’une rumeur, d’une dénonciation pour que la justice ordonne une enquête…La population est alors peu instruite et fortement superstitieuse et le simple fait parfois d’être riche, beau ou laid, de vivre à l’écart, de posséder un crucifix ébréché suffit à faire peser les soupçons ! Certaines professions sont particulièrement suspectes aux yeux de l’église dont celle de bergère, parce que très proche de la Nature, ou…celle de sage –femme et le climat est à la délation !
En 1562-1563, un événement va mettre le pays du Haut-Couserans en émoi : trois femmes de Seix, dénoncées justement par leurs fils et frères dont l’un était curé de Seix, vont être jugées puis convaincues de sorcellerie.
Mathe de Ga, épouse d’un paysan aisé, est âgée de 70 ans quand elle est dénoncée comme sorcière aux Consuls de Seix par ses propres fils.
Arrêtée le 19 mars 1562, elle sera exécutée 40 jours après son arrestation, le 18 avril de la même année. Elle sera pendue puis brûlée avec le sac contenant son procès.
S’il ne reste donc aucune trace des actes de ce procès, la procédure intentée contre deux autres femmes de Seix, – Philippe du Rieu, la propre fille de Mathe de Ga, âgée alors de 30 ans et Ysabe Tallieu, qui, elle, est quadragénaire-, regorge d’indications et éclaire ce procès en sorcellerie qui verra d’ailleurs également l’exécution d’une quatrième femme, Arnaude Barrau, bien différente celle-là.
Si Arnaude Barrau est en effet, elle aussi, originaire de Seix contrairement aux trois autres, elle mène une vie de citadine à Saint-Girons et méprise quelque peu le monde rural dont elle est issue mais qu’elle a définitivement quitté.
Toutes seront pourtant condamnées au bûcher, un bûcher censé selon l’église « purifier leur âme » !
La chasse aux sorcières est pratique courante dans la région depuis le 13e siècle mais en cette année 1562 le climat de peur qui sévit (les Huguenots du Mas d’Azil ont attaqué quelques mois auparavant Saint-Lizier !), la rudesse de la vie, la crainte de la disette et des épidémies, les jalousies exacerbées qui attisent des rivalités entre voisins peuvent sans aucun doute expliquer ces dénonciations et ces procès en sorcellerie. La délation est alors encouragée par l’église-.
Dans le cas présent, les frères du Rieu (hameau de Couflens) n’appartenaient-ils pas au même groupement pastoral que Philippe et Ysabe, les présumées sorcières ?…et l’un des hommes n’était-il pas curé ?
Dans une émission radiophonique (Radio Couserans, 2011) J.-J. Peyronne rappelait qu’en 1563, soit un an après le procès des sorcières de Seix, une vague d’arrestations aura lieu dans le Haut Couserans. Quelques 36 femmes de Soulan, d’Ustou, de Massat et de Taurignan se verront traînées en justice et condamnées pour sorcellerie.
On sait de Mathe de Ga qu’elle n’était pourtant pas une marginale, loin de là. Selon les documents, elle fut initiée à la fabrication des poisons par un habitant d’Ustou qui lui avait promis la richesse…
Elle fut soumise à la question , torturée, elle reconnût lors du procés que sa sœur Catherine de Ga avait été brûlée à une date antérieure pour sorcellerie et avouera « s’être donnée au Diable après avoir renoncé au Dieu créateur, à la glorieuse Vierge Marie et à toute le Cour céleste du paradis »…
Dénoncée par ses fils chez lesquels elle vivait, on dit que ses victimes appartenaient à son entourage : son mari, sa nièce Maricou et plusieurs des ses neveux. Ce sont ces aveux là qui orienteront la suspicion des Consuls de Seix contre Philippe, la fille de Mathe, puis contre Ysabe.
Les actes reprochés font frémir ! : nombreux infanticides où la cruauté semble avoir la part belle ! Ne dit-on pas que « les enfants étaient exposés au feu puis remis au berceau » après avoir été rôtis ? Parfois même, après avoir été exposé au feu, « les enfants étaient étouffés, non par strangulation mais par compression des côtes, les membres étaient rompus » et l’observance de ce rituel faisait que la mort pouvait survenir plusieurs jours après…
Pour les empoisonnements, Mathe aurait eu recours à « une poudre blanche contenue dans un minuscule drap de lin » et le poison « aurait été injecté dans des aliments comme la pomme et la figue... »
Dans ses maléfices et sortilèges, Mathe aurait avoué posséder un crapaud mais elle refusera de le présenter au procès disant qu’elle l’a rejeté dans le Salat. Ce crapaud, présenté au procès comme un animal terrifiant, véritable émanation du Diable, elle l’aurait nourri dans un trou de sa maison durant deux longues années… L’urine du crapaud constituait le principal ingrédient du poison utilisé…
Ironie du sort ! En pleine guerre de religions, les trois sorcières de Seix, furent condamnées toutes trois par les Consuls du village c’est-à –dire par la justice civile et non religieuse même si, à plusieurs reprises, les consuls interpellèrent l’évêque du Couserans pour qu’il intervienne.
Toutes trois furent exécutées comme sera exécutée Arnaude Barrau, la citadine, accusée, elle « d’abuser de l’acte charnel » et condamnée pour paillardise, adultère et inceste.
L’étroite ruelle sombre et humide qui longe la rive gauche de l’Esbintz en parallèle à la Rue du Roy fut à n’en pas douter fréquentée jadis par nos trois sorcières.
Cette courte venelle, étroite et tortueuse, perpétue aujourd’hui encore le souvenir des trois sorcières de Seix.
D’un point de vue historique, tous les historiens aujourd’hui s’accordent sur ce fait , les sorcières de Seix furent comme leurs consoeurs sur l’ensemble du territoire et même au-delà des frontières des boucs-émissaires :
« On cherchait des boucs –émissaires pour expliquer les infortunes de l’époque, celles-ci bien pénibles dès 1300, mais épouvantables dès 1347 ; on les trouva d’abord parmi les juifs, les lépreux, les Templiers. Les sorciers ruraux, fournirent à leur tour une cible rêvée »… (Cohn cité par Leroy-Ladurie)
On peut affirmer sans conteste aujourd’hui que la sorcellerie a servi différents buts : si elle fut un moyen de projeter les maux dont souffrait la société et ainsi de s’en débarrasser symboliquement, elle fut surtout un moyen de renforcer la présence du clergé dans une époque d’instabilité sociale (époque de la Contre-Réforme) , un moyen d’intimider les femmes et de les contraindre à s’identifier aux valeurs du comportement féminin imposées par leur culture – ; sociologiquement Jules Michelet voit dans la sorcière le masque d’une femme révoltée contre l’ordre juridique et symbolique institué par les hommes-, n’oublions pas en effet que les femmes n’étaient pas reconnues comme des sujets de droit. Les lois instituées par les hommes tenaient les femmes sous tutelle juridique, les faisant passer de la domination du père ou des frères à celle d’un époux qu’elles avaient rarement choisi ; ce fut aussi un moyen enfin d’assurer le monopole de la médecine aux hommes des classes supérieures.
Nous reste aujourd’hui un mythe, amplifié par l’histoire, un mythe qui, fait planer sur le village de Seix l’ombre des brouches* et des pousouères*.
La sorcellerie continue plus de 500 ans après d’inspirer sans faillir peintres, romanciers et conteurs et musiciens…
Elle continue aussi, au pied du presbytère, au jardin de curé de Seix, d’éveiller la curiosité d’un public qui ne cesse de s’interroger sur les propriétés et les pouvoirs que l’on prête parfois aux plantes médicinales…
• Brouche, du latin bruxum (le fragon) : selon la légende c’était la plante préférée des sorcières dans laquelle elles se roulaient au moment de leur initiation
• Pousouère = empoisonneuse
Pour en savoir plus
Sur la sorcellerie en général
DELUMEAU Jean, La peur en Occident, Fayard, 1988 (un chapitre sur le caractère sexiste de cette persécution que fut la chasse aux sorcières, où il précise que les hommes sont exécutés pour hérésie et les femmes pour sorcellerie disant qu’entre les deux se distingue la même différence qu’entre le droit commun et le prisonnier politique).
BODIN Jean, Démonomanie des sorciers, Arnould Coninx, Anvers, 1586
MANDROU Robert, Magistrats et sorciers en France au XVIIe s., Plon, 1958
BETCHEL Guy, La sorcière et l’occident. La destruction de la sorcellerie en Europe des origines aux grands bûchers, Plon, 2000.
FAVRET-SAADA Jeanne, Les mots, la mort, les sorts ou la sorcellerie dans le Bocage, Gallimard, 344p., 1978
J. Favret-Saada est ethnographe, elle s’attache à analyser les différents schémas de relations entre le sorcier, l’ensorcelé , le désorceleur dans le milieu rural de l’Ouest de la France
COHN Norman, Démonologie et sorcellerie au Moyen-âge, Payot, 324 p., 1982
LEROY-LADURIE Emmanuel, La naissance du Sabbat, Le Monde, 10 septembre 1982, p.16.
GILBERT, Les plantes magiques et la sorcellerie, Moulins, 1899
Sur la sorcellerie en Midi Pyrénées
GHERSI Nicolas, « Poisons, sorcières et lande de bouc », Cahiers de recherches médiévales, 17 | 2009, 103-120.RMH.
http://crm.revues.org/11507 (possibilité de lire l’article dans son intégralité)
LE NAIL J.-Fl, « Procédures contre des sorcières de Seix en 1562 », Bulletin de la Société ariégoise des Sciences, Lettres et Arts, 1976, n°31
Rappelons que J.-F. Le Nail est archiviste-paléographe promotion 1970. Directeur des Archives départementales de l’Ariège de 1970 à 1976, puis des Hautes-Pyrénées de 1976 à 2005.
PEYRONNE J.-J., Les Sorcières de Seix, émission 2011, Radio-Couserans.
Quelques représentations artistiques, à consulter sur internet ou, mieux encore si possible, directement dans les musées !
Diable et sorcières
MOLITOR Ulrich, Le Diable amoureux de la sorcière, 1489
MOLITOR Ulrich, Sorcières faisant descendre la pluie
ALTDORFER Albrecht , Le départ pour le sabbat, 1506
http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/le-depart-pour-le-sabbat
avec un commentaire détaillé de l’œuvre
WIERTZ Antoine, La Jeune sorcière, Huile sur toile, 220 x 135 cm, 1857, Musée Wiertz, Bruxelles
Le sabbat
BALDUNG Hans, Le Départ pour le Sabbat, 1514
GOYA Francisco, L’adoration du Grand Bouc, Le Prado, Madrid
HUBERTUS A., Sorcières se préparant au Sabbat, XVIIe s.
QUEVERDO François-Marie Isidore, Départ pour le Sabbat, XVIIIe siècle
SPRANGER, Le Sabbat
VAN DE VELDE Jean, Conjurations nocturnes
Frère GUAZZO, Compendium Maleficarum de Guaccius, 1626, 13 gravures sur bois
En littérature
L’histoire des sorcières de Salem à inspiré de nombreux auteurs.
Le procès des sorcières de Salem est un épisode fameux de l’histoire coloniale des Etats-Unis (Massachussetts) qui entraîna la condamnation et l’exécution de personnes accusées de sorcellerie en 1692. Généralement analysé comme découlant d’une période de luttes intestines et de puritanisme exacerbé, ce procès se solde par l’exécution de vingt-cinq personnes et l’emprisonnement d’un bien plus grand nombre.
Romans, essais, pièces de théâtre, y font allusion : Cyrano de Bergerac propose une explication rationnelle du comportement de ces prétendues sorcières et dénonce leur traque par le pouvoir civil. « The Weird Sisters » dans Macbeth de SHAKESPEARE, La petite Fadette de Georges SAND, La Sorcière de MICHELET en parlent.
Œuvres pour adultes :
• YOURCENAR Marguerite, L’Œuvre au noir (roman)
• MICHELET Jules, La sorcière
• MILLER Arthur, The crucible » ou « La chasse aux sorcières » (théâtre) Les Sorcières de Salem
Les sorcières de Salem est une formidable façon de dénoncer les procès où la peur et la superstition conduisent à l’aveuglement.
• HAWTHORNE Nathaniel, La Lettre Ecarlate (roman) publiée en 1850
Œuvres pour pré-adolescents :
• BURGESS Melvin, Isa la sorcière
• Joanne K. Rowling, Harry Potter
En musique
Ночь на лысой горе, Une nuit sur le Mont chauve, Moussorgski
La pièce est inspirée d’une nouvelle de Nicolas Gogol qui met en scène le sabbat des sorcières. Le titre initial en était : Nuit de la Saint-Jean sur le mont Chauve.
Il en existe plusieurs versions. Les deux versions les plus notables ont été orchestrées par l’auteur et par son ami Rimski-Korsakov. Moussorgski termina son travail durant l’été 1867, à l’occasion d’un séjour dans la maison de son frère à Minkino. Rimski-Korsakov orchestra la partition en 1886, 5 ans après la mort du compositeur, et l’appela une «fantaisie pour orchestre ». Cette version a été créée sous la direction de Rimski-Korsakov le 27 octobre 1886 dans le cadre Concerts symphoniques russes.La version originale, plus âpre, plus slave, plus authentique, a été publiée en 1968 et gagne progressivement en notoriété. Il existe également deux versions orchestrées par le chef d’orchestre du XXe siècle, LeopoldStokowski dont l’une a été utilisée dans le film d’animation de Walt Disney, Fantasia
Un musée en Espagne
Museo de las Brujas : tous renseignements sur le site
http://www.turismozugarramurdi.com/seccion/turismo_museo_de_las_brujas/
un autre aux Etats-Unis pour commémorer le souvenir des Sorcières de Salem :
http://www.salemwitchmuseum.com/about/directions.php
A visiter , parcours dans les jardins médicinaux
De nombreux jardins médicinaux accueillent en France comme à l’étranger les visiteurs de passage ; nous pouvons donner mention de certains d’entre eux
En France
Jardin médicinal de Pons (Charentes Maritimes) : visite guidée suivie d’une dégustation de fleurs de juillet à septembre
http://www.pons-tourisme.fr/
En Guadeloupe
Jardin municipal de l’habitation Murat, Ecomusée de Marie-Galante, section Murat / 0590 97 48 68
Le jardin médicinal, créé en 1978 et agrandi en 1994, fait partie de l’habitation Murat, siège de l’écomusée de Marie-Galante. Il permet de découvrir une grande partie de la pharmacopée de l’île employée par la population jusqu’au milieu du XXe s. Sa classification particulière correspond à celle utilisée traditionnellement sur l’île.
En Belgique
Herba Sana, jardin situé dans les Hautes Fagnes, permet en plus des visites libres, des visites guidées survolant tout le parcours didactique. Ces visites, animées par des herboristes, s’adressent à tous ceux qui souhaitent se familiariser avec le monde des plantes médicinales et du bien-être au naturel. Elles sont organisées de juin à septembre.
http://www.herba-sana.be