Dans les années 1920 à 1925, il s’est édifié environ 36 000 monuments aux Morts en France.
Trop souvent méconnus, les monuments aux morts demeurent pourtant, à bien des titres, des témoins de l’histoire.
De la grande histoire d’abord, celle de la vie humaine, jalonnée par les guerres – première et seconde guerre mondiale bien sûr, mais aussi par ces autres guerres, plus coloniales celles-là, comme la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie -.
Les monuments aux morts témoignent aussi de l’histoire des communes : la liste des noms gravés traduit le poids des guerres sur la vie locale ; elle apparaît même parfois aujourd’hui comme la seule trace de certaines familles !
Les monuments aux morts témoignent enfin d’une toute autre histoire, celle de l’histoire de l’art : leurs dimensions, leur ornementation diffèrent sensiblement, d’une commune à l’autre. Leur symbolique est extrêmement variée et renforce l’intérêt qu’on peut prendre à l’étudier.
Comme à Soulan, certains ont le coq pour emblème, tricolore jusque dans le bronze, il y a encore peu …
Toujours armés d’un fusil, certains Poilus le brandissent fièrement, semblant vouloir repartir à l’attaque, tandis que d’autres se contentent de s’appuyer sur lui comme s’ils étaient submergés d’une infinie tristesse.
Le drapeau guerrier, les palmes de victoire ou celles du martyre peuvent aussi figurer sur l’édifice comme peut y figurer la couronne de lauriers… autant de symboles qui enrichissent l’aspect du monument aux morts, conférant à chacun d’entre eux une coloration et une signification particulières.
Mais quelles sont les fonctions de ces monuments implantés, dans la majeure partie des communes de France, au coeur même du village ?
A Seix comme ailleurs, ériger un monument aux morts, c’était d’abord permettre le rassemblement de la population du village autour du souvenir de tous les soldats morts au champ d’honneur .
Graver les noms des soldats sur le monument, c’était aussi redonner à ces hommes, trop tôt disparus à la guerre, la gloire dont ils s’étaient parés en offrant le sacrifice de leur vie pour la France. Les noms des disparus sont classés par ordre chronologique de leur décès ou par ordre alphabétique, jamais par ordre hiérarchique :les hommes sont égaux devant la loi et devant la mort.
Inscrire, physiquement, matériellement, ce monument de granit – dont il faut se souvenir qu’elle est une roche magmatique extrêmement dure – au centre du village, c’était aussi, sans nul doute, une façon de fixer le souvenir des morts dans le présent tout en le transmettant, aux générations futures, dans une forme d’éternité.
Le monument aux morts peut dès lors être perçu comme un trait d’union entre le passé, le présent et le futur.
Autrefois situé sur la place du Champ de Mars, tout proche de l’actuel office de tourisme, le monument aux morts de Seix est dédié aux morts de la guerre de 1914-1918, à ceux de la guerre de 1939-1945 et à celui de la guerre d’Algérie.
Qui se souvient encore de la signification du nom, pourtant ancien, de cette place, la place du Champ de Mars ? L’antique Champ de Mars, – Campo Martius– consacré au dieu de la guerre, où l’armée romaine avait son terrain d’entraînement, se trouvait au nord-ouest du Capitole, dans la vaste plaine cernée par la boucle du Tibre. C’était aussi un lieu de manifestations politiques. Dans les derniers temps de la République, on éleva à Rome, autour du Champ de Mars, des arcs de triomphe et des édifices publics majeurs. Aujourd’hui sur le Campo Marzio de Rome, Champ de Mars romain se trouvent la Piazza Navona, le Panthéon et une grande partie de la ville.
C’est par imitation, qu’à Paris, le nom de Champ de Mars a été donné à l’immense espace situé entre l’Ecole militaire et la Tour Eiffel.
Le Champ de Mars est situé à Paris entre l’Ecole militaire et la Tour Eiffel
Haut lieu de la Révolution française, c’est là qu’eut lieu, le 14 juillet 1790 la fête de la Fédération : on y célébra la fête de l’Etre suprême le 8 juin 1794 et ce jour là, au centre, était dressé l’autel de la Patrie.
Mais revenons à Seix.
En 1921, la municipalité du maire Georges Dessort prend la décision d’ériger un monument aux morts, pour les raisons évoquées précédemment, sur la place du Champ de Mars de Seix.
Elle crée une commission chargée d’organiser une souscription auprès des habitants de la commune. Le 27 février de la même année le maire présente au conseil le projet et les devis du monument qui sera réalisé au Champ de Mars.
D’un montant de 10 986 francs, ce projet est couvert par la souscription qui a rapporté 4 342,25 francs et le budget communal.
Monsieur Belaval, architecte, est l’auteur du projet. La municipalité confie la réalisation du socle pour 5 500 francs à l’entrepreneur Manuel Albiach, ce socle est réalisé avec la pierre de la carrière, toute proche, celle du Pont de la Taule. C’est Manuel Albiach qui réalise également les inscriptions et les décorations du monument.
Le monument aux morts de Seix, place du Champ de Mars, avant son déplacement en 2005
La statue en fonte qui représente le Poilu, est acquise auprès du statuaire toulousain Camus.
La croix de guerre en fonte de fer bronzé est, elle, achetée à l’administrateur Duranton des ateliers de construction du Val d’Osne, à Paris. Quant à la grille qui entoure la statue, elle sera l’oeuvre de monsieur Abadie, serrurier à Seix et sera peinte, pour l’inauguration du monument, par monsieur Bongars, peintre à Riverenert.
Comme on le voit sur la photo, le jardinet est entouré d’une clôture. On a délimité le lieu où l’on commémore les absents, on a créé un enclos à caractère sacré. Seul le magistrat municipal ou les anciens combattants d’arme, peuvent prétendre pénétrer cette parcelle de sol désormais sacrée.
Le 30 juillet 1922, le docteur Georges Dessort procède à l’inauguration solennelle du monument aux morts, sous la présidence du sous-secrétaire d’Etat aux P.T.T., des députés Lafagette et Cazals, du sénateur et président du conseil général monsieur Pérès, du préfet et des sous-préfets de l’Ariège, des représentants de l’église locale et de nombreux élus.
Ce n’est évidemment que plus tardivement que seront ajoutées, la plaque dédiée aux soldats morts en 1939-1945, puis celle dédiée au soldat mort pendant la guerre d’Algérie.
Mais voilà qu’au fil de l’histoire, la place du Champ de Mars est devenue la place de l’Allée, une place de foirail qui vit au rythme des marchés… De la carriole à ânes ou à chevaux, on est progressivement passé à la voiture qui maintenant tend à envahir la place, la transformant en vaste parking.
Sous couvert d’amusement nocturne, quelques actes imbéciles sont commis et le Poilu se retrouve plusieurs fois porteur de sacs plastiques ou de canettes de bière, placées là par des personnes avinées, une fois le soir venu.
Face à ces actes d’incivilité et à ce qui semble être une inadéquation désormais du lieu avec un tel édifice, la municipalité décidera en 2005 de déplacer le monument aux morts de Seix pour l’adosser au talus de soutènement de la salle polyvalente , non loin de la poste du village.
Le monument aux morts de Seix est composé d’un socle en granit sur lequel la statue en fonte d’un Poilu , haute d’un mètre soixante cinq, large et profonde de quarante centimètres et signée, pose devant un obélisque de granit lui aussi.
Mains jointes sur le canon d’un fusil dont la crosse repose au sol, le soldat veille.
Mais ce Poilu en pied pose sur nous un regard grave et triste, comme pour nous rappeler le souvenir de tous ces autres hommes, – oncles, pères, frères ou grands pères qui, partis à la guerre défendre la patrie, n’en revinrent jamais. Comme pour nous signifier que c’est un peu à eux que nous devons une part de notre bien être d’aujourd’hui, il nous regarde donc , nous obligeant au souvenir.
Autrefois vert bronze, le Poilu de Seix a été repeint en 2005.
Moustachu, casqué, chaussé, il porte les bandelettes molletières et l’uniforme réglementaire. Il est équipé d’un fusil, de cartouchières passées au ceinturon, d’un sac en bandoulière flanqué au côté gauche et d’une gourde au côté droit. L’attirail obligé de tout un chacun dans l’enfer des tranchées, lors de la première guerre mondiale.
Une guerre qui nous remet forcément en mémoire l’évocation qu’en faisait par exemple Louis Ferdinand Céline dans son terrible roman, Voyage au bout de la nuit, au titre évocateur :
,,, « Et le pain ? » demanda le colonel.
Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits comme on ne croirait jamais qu’il en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que c’était fini, que j’étais devenu du feu et du bruit moi-même.
Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui tremblaient comme si quelqu’un vous les secouait de par derrière, Ils avaient l’air de me quitter, et puis ils me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps, l’odeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre entière »…
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit,Gallimard
Le Poilu de Seix est décoré de la croix de guerre avec une palme sur le ruban, portée sur sa poitrine à gauche, la croix de guerre a été instituée par le décret du 23 avril 1915.
Oeuvres laïques, conçues par une République séparée de l’église depuis 1905, les monuments aux Morts portent rarement des marques religieuses, mais la croix de Guerre qui apparaît sur 37% des monuments conciliait toutes les familles d’esprit.
Elle rappelait la croix aux catholiques tout en étant pour tous une décoration, un honneur officiel rendu aux combattants.
Photo de lacroix de guerre française 1914-18 et 1939-1945 (recto) . Celle de 1918 porte des étoiles de bronze, d’argent, de vermeil et une palme de bronze.
La croix de guerre en fonte de vingt cinq centimètres de haut et de large qui figure elle sur l’obélisque, porte, inscrit dans le médaillon, le profil droit d’une Marianne coiffée du bonnet phrygien et d’une couronne de lauriers, visage entouré des inscriptions « REPUBLIQUE FRANCAISE« . Elle reste un symbole fort de la République et de la Liberté.
Le front de Marianne est ceint de la palme victorieuse de lauriers, reprise de l’Antiquité gréco-latine, celle là même qui ceignait le front des Césars victorieux dans l »Antiquité ou encore, bien plus tard, cette palme laurée qui honorait les bacheliers ayant réussi leur examen.
Sur le monument aux morts de Seix, la décoration – croix de guerre, couronne végétale, laurier- , le soldat et ses attributs – casque, fusil, uniforme -, disent assez la solennité et la force symbolique d’un hommage qui reste avant tout un hommage de la République à ses morts.
Chacune des trois autres faces du monument présente un espace poli et gravé des 110 noms des soldats morts en 1914-1918, inscriptions situées sous une croix latine. La croix latine, pourtant interdite à cette époque sur un monument public, symbolise l’alliance de la commune laïque et de l’église dans ce deuil.
Une plaque de granit noir est gravée d’inscriptions de la guerre d’Algérie et une autre, en marbre blanc veiné de gris, porte les inscriptions de la guerre de 1939-1945. La liste des noms, prénoms des soldats morts pour la France y figure. A chaque commémoration, cette liste continue de faire résonner, le souvenir et le poids du sacrifice que chacun de ces hommes a consenti à la France.
Le monument aux morts, est aujourd’hui enserré sur trois côtés par des murets de pierres. Inscrit monument historique depuis le 6 août 2007, cet édifice est bien évidemment l’objet de commémorations régulières notamment les 11 novembre, date de l’armistice de la guerre 1914-1918, Jour des Anciens combattants. Défilés, discours, dépôts de gerbe, appel des noms, sonnerie, musique accompagnent ces cérémonies empreintes de solennité dont on rend compte dans les medias et dans la France entière.
Toutefois, on ne saurait passer sous silence le fait qu’en France comme à l’étranger -à Berlin, par exemple-, certains monuments aux morts portent un message profondément pacifiste.
Ainsi, sur le monument aux morts de Gentioux , dans la Creuse, une statue de bronze représente un enfant poing serré qui désigne cette inscription « Que maudite soit le guerre ».
Il en va de même bien plus près de chez nous, dans la commune d’ Ausseing en Haute-Garonne : réalisée sur une pierre de granit foncé, le monument aux morts d’Ausseing d’une simplicité extrême s’est substitué à l’ancienne croix de mission qui fut dressée fin XIXe siècle, au centre de la place. La stèle qui commémore les disparus des deux guerres, interpelle par son épitaphe :
«Maudite soit la guerre» avec, en dessous, cette autre mention « Ne nous reposons pas sur nos acquis, mais efforçons-nous de construire la paix, que la paix soit dans le coeur et dans l’esprit de chacun».
Les monuments aux morts qui choisissent plutôt d’affirmer leur pacifisme n’en perpétuent pas moins le souvenir et le profond respect des soldats morts pour la France.
Tous les monuments aux Morts sont des lieux de mémoire, représentatifs du lourd tribut payé par les communes du département , celui de Seix en témoigne comme tous les autres par sa présence dans notre village.