Dans les œuvres picturales dénommées Vanités , un crâne côtoie fréquemment les symboles destinés à évoquer des valeurs passagères telles la beauté ou la richesse…Ici, une fleur symbolise la brièveté de la vie – que Ronsard chanta en son temps -, tandis que le sablier demeure le symbole de l’inexorabilité du temps qui passe…
« Qu’est-ce, ô Dieu, que de l’homme ! Une fleur passagère
Que la chaleur flétrit ou que le vent fait choir ;
Une vaine fumée, une ombre fort légère
Qui se joue au matin et passe sur le soir ; »
La reine d’Ecosse, Montchrestien, acte II, v.571- 574,1801.
« Je vis cette faucheuse. Elle était dans son champ.
Elle allait à grands pas moissonnant et fauchant,
Noir squelette laissant passer le crépuscule… »
Les Contemplations, V. Hugo, IV, 16, 1854
Peinture, poésie… La mort est d’abord un objet privilégié de représentation artistique.
Elle est sans doute l’un des thèmes majeurs, celui qui parcourt en tout cas avec le plus de constance l’histoire de l’art et les représentations de la mort trouvent leur origine dans l’art funéraire.
Les tombeaux et cimetières de l’Antiquité sont marqués de peintures, de sculptures et d’inscriptions.
Pour perpétuer les traits des Pharaons, les Egyptiens développèrent la pratique des masques mortuaires placés sur les sarcophages.
Le masque funéraire de Toutankhamon est certainement le masque le plus connu au monde. Véritable chef d’oeuvre de l’orfèvrerie égyptienne, ses yeux sont en quartz et en obsidienne. Leurs angles sont teintés de rouge leur donnant une expression très réaliste, rehaussés d’un liséré de lapis-lazuli pour imiter le khôl (poudre minérale utilisée comme maquillage par les Égyptiens).
La religion chrétienne fournit à son tour à l’imaginaire occidental de nombreux motifs issus des icônes et de la peinture de dévotion : de très nombreuses peintures représentent en effet des Christs en croix, expirant ; des descentes de croix, des piétàs – ces vierges particulières tenant sur leurs genoux le corps du Christ descendu de la croix -, des » dormitio » – vierges mortes représentées alitées -, des morts ou des mises au tombeau de saints, ou encore des représentations de l’expiration des martyrs – . Ce sont là autant de motifs artistiques proposés par la mythologie chrétienne.
Seix. Le retable baroque encadré de colonnes torses représentant le martyr de St Etienne a donné son nom à l’église paroissiale.
Les groupes sculptés de piétas, figurant aujourd’hui dans cette même église St Etienne de Seix, mais appartenant en fait à la chapelle Notre Dame de Pitié de Seix et dont on aimerait qu’elles y retournent font également partie de ces représentations créées par l’art funéraire.
Parallèlement à l’éclosion d’un véritable art funéraire, le développement de l’anatomie, du XVe au XVIIe siècle, stimule la curiosité et la connaissance du corps et du squelette humain. Il encourage donc, dans les représentations, une tendance au réalisme. La mort est moins assimilée à un art de mourir moralisant ou religieux qu’à une expérience des limites.
Mais l’art funéraire rassemble des représentations hétéroclites.
L’art funéraire a en effet aussi pour but de préserver la mémoire du mort, de « l’immortaliser ».
Il se doit aussi parfois d’accompagner le mort dans l’au-delà.
L’art funéraire englobe pour ces raisons des monuments uniquement commémoratifs : à ce titre, les stèles de pierre, de marbre ou de granit par exemple appartiennent à l’ art funéraire. Les médaillons, les bustes, les anges, …, mémoire de pierre, de bronze, de fonte ou d’ émail que l’on garde du défunt qui viennent orner ces stèles et qui les décorent dans un but esthétique avoué seront traités par l’art funéraire.
Seix. Cimetière. Deux stèles monumentales, l’une en marbre vert d’Estours, l’autre en marbre de Carrare avec respectivement des décors de palme et monogrammes en entrelacs.
L’art funéraire omniprésent en peinture et en sculpture s’est également emparé du domaine musical.: les marches funèbres et les Requiem ( en latin, les messes des défunts) font partie intégrante eux aussi de l’art funéraire.
De très nombreux musiciens comme Mozart, Cherubini, Verdi, Berlioz, ou encore Schumann se sont laissés tenter par les Requiem et ont été particulièrement inspirés par la séquence du Dies irae : – Mozart en 1791 ; Verdi en 1874 ; Fauré en 1888 ; Brahms écrit en 1868 Ein deutsches Requiem (un Requiem allemand) …
La littérature d’un bout à l’autre de son histoire célèbre à sa façon l’art funéraire : certains discours d’abord, par leur objet même, mais aussi bien sûr par l’art de l’éloquence qu’ils développent sont de véritables chefs d’oeuvre : ainsi en est-il de l’oraison funèbre prononcée par Bossuet à l’occasion de la mort du roi, de ces sermons au souffle lyrique ou encore de certaines épitaphes qui, par leur concision même, sont dignes d’un intérêt proprement artistique.
Rappelons aussi que, s’il a écrit son superbe poème « Demain dès l’aube …« , Victor Hugo, dans Les Contemplations, figure la mort de sa fille par une page blanche.
Autant de manières de célébrer la Mort.
De Villon à Baudelaire, de Ronsard à Eluard, de Neruda à Michaux la poésie toute entière s’est emparée de ce motif artistique qu’est la Mort.
C’est sans doute que l’art est l’une des manières les plus efficaces de l’exorciser. Car la mort de l’autre résonne toujours comme un avertissement de notre propre mort.
Alors, parfois, la dérision s’en mêle !
Il est des époques , il est des pays où l’on sait se moquer de la mort, le Mexique est par exemple l’un d’entre eux.
Les danses macabres du Moyen-âge qui faisaient en Europe danser les squelettes, nous le rappellent aussi ! et, de nos jours, au détour d’une rue, le passant peut comme ici être confronté à une œuvre de l’art street !
Un squelette rose, comme un pied de nez à la mort. Art street (art de la rue)
Ce squelette rose peint sur l’asphalte est assez significatif : dérision dans le choix de la couleur, bien sûr ! Cette peinture rose se détache, non sans ironie, sur un fond noir, couleur ordinaire de la mort. La grille d’égout sert de cage thoracique à ce joyeux squelette sur lequel les passants sont invités à marcher !
Cette peinture au pochoir, si elle n’est pas du « grand art », participe tout de même avec force à la puissance de provocation inhérente à certaine formes d’art.
Quoi de mieux en effet, pour exorciser l’angoisse de la mort, que de s’en moquer ?